Une proposition de loi du groupe PJD a été présentée au parlement concernant la Kalala, ceci a suscite une polémique au sein de la société civile. La proposition apporte des modifications aux articles 9 et 24, qui intéressent précisément les étrangers et les Marocains résidant à l’étranger. Ces nouvelles propositions spécifient des durées de résidence au Maroc pour les kafils ce qui représenteraient une entrave importante pour les MRE.
Voici quelques extraits du projet de loi « Article 9 : la kafala des enfants déclarés abandonnés par le jugement est confiée aux personnes et aux organismes ci-après désignés : 1- les époux musulmans remplissant les conditions suivantes : 1- qu’au moins l’un des deux soit de nationalité marocaine. 2-qu’ils soient résidents et qu’ils aient ou au moins l’un des deux un centre d’intérêt connu au Maroc depuis au moins cinq ans… »
« Article 24 : il est possible au kafil marocain de voyager avec l’enfant makfoul pour une résidence permanente en dehors du royaume du Maroc, après autorisation du juge des tutelles, et ce dans l’intérêt des deux parties. Ne s’appliquant pas les dispositions sus citées pour l’enfant qui n’a pas atteint l’âge de discernement, sauf si la kafala est appliquée depuis au moins deux ans.».
Pour aborder le sujet, nous avons rencontré Fatima Zohra Alami, présidente de Osraty, association marocaine de parents adoptifs, afin de mettre la lumière sur l’activité de cette association et sa position vis-à-vis de la proposition de loi.
La Fondation : Comment vous est venue l’idée de l’association Osraty ?
Fatima Zahra Alami : L’idée de Osraty est née de la rencontre de familles en cours de procédure au tribunal, et qui avaient toutes les difficultés du monde à affronter l’univers kafkaïen de la justice, en même temps qu’ils avaient à gérer toute la charge émotionnelle qui entoure la construction d’un lien sur des blessures d’abandon et de désir d’enfants. Le désarroi que ces familles ont éprouvé, les a poussées à créer un espace d’échange pour éviter à d’autres ce sentiment de solitude extrême, alors même qu’ils vivaient un moment unique de bonheur.
La Fondation : Quelle est la procédure appliquée actuellement en vue d’une Kafala ?
Fatima Zahra Alami : Selon le guide de la kafala, les demandeurs doivent introduire une requête auprès du procureur, pour que soit adressée au juge des tutelles, une copie du jugement d’abandon. En fonction des villes le dossier complet est à déposer soit au tribunal de la famille, soit au centre où réside l’enfant. Le juge des tutelles examine le dossier et diligente une enquête visant à recueillir des renseignements sur les conditions dans lesquelles va être assurée la kafala de l’enfant. Cette enquête va faire appel à plusieurs intervenants, tel que fixé par l’article 16 de la loi 15-01, et le décret ministériel N° 2-03-600 portant application de cet article. Les demandeurs seront convoqués à plusieurs entrevues avec le juge. A l’issue de ces entrevues et des résultats de l’enquête, le juge décide si l’enfant peut ou non être confié aux demandeurs. Si oui, le juge rend une ordonnance confiant la kafala de l’enfant aux demandeurs. L’ordonnance désigne la ou les personnes chargées de la kafala comme tuteur(s) datif(s) de l’enfant pris en charge.
La Fondation : Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés les personnes qui se proposent pour la kafala ?
Fatima Zahra Alami : ils sont nombreux, je cite à titre d’exemples : la rencontre avec l’enfant car cette partie de la procédure revêt un caractère émotionnel si fort, qu’il est très angoissant de l’entamer sans aucun accompagnement, aussi bien pour l’enfant que pour les parents. De plus il faut faire attention que cette transmission ne soit pas pourvoyeuse d’une nouvelle rupture pour l’enfant. La multiplication des lieux de démarches bloque l’avancement des dossiers au mieux, et au pire aboutit à l’interruption de la procédure. Actuellement bien que le suivi soit inscrit dans la loi, il est peu effectif, et ce aussi bien au Maroc qu’à l’étranger. Des situations difficiles peuvent alors résulter de ce manque de suivi : Les ré-abandons, des familles en échec du lien, délinquance, criminalité et maltraitance. Il est impératif d’aider les familles, sur le plan psychologique, social et éducatif, en fonction des besoins de chaque famille, en collaboration avec les associations opérant dans le domaine de la Kafala, et les instances concernées. Pour la procédure des résidents à l’étranger, il est impossible pour des gens qui travaillent de bénéficier du temps nécessaire pour effectuer toute la procédure au Maroc. L’inhomogénéité des dossiers en fonction des tribunaux rend difficile l’information. Par ailleurs il y a des situations absurdes, comme par exemple l’exigence d’un dossier d’agrément pour la kafala alors qu’il n’existe pas dans le pays de résidence.
La Fondation : La kafala n’est pas reconnue dans certains pays, comment les Marocains du monde résolvent ce problème ?
Fatima Zahra Alami : Le problème de la kafala est que soit les pays la reconnaissent pour ce qu’elle est c’est à dire une délégation d’autorité parentale, et dans ce cas la protection offerte à l’enfant dans son pays d’accueil est nettement insuffisante. Soit, ils choisissent de la mettre au même rang que l’adoption, pour pouvoir offrir à l’enfant et ses parents un statut stable,. Ce qu’il faut savoir c’est que la kafala ne transfère pas la représentation légale du makfoul à son kafil, et qu’en plus elle s’arrête à dix- huit ans; ceci veut dire que si la kafala n’est pas transformée en adoption, l’enfant à dix -huit ans ne peut plus faire valoir aucune relation avec ses parents, et par exemple s’il est dans une situation de conflit avec la loi, il peut être expulsé. C’est notamment cette raison qui est évoquée par les USA pour transformer cette kafala en adoption.
La Fondation : Un projet de loi relatif à la kafala est proposé au parlement, que pense l’association des mesures avancées ?
Fatima Zahra Alami : Ce projet de loi vise à restreindre la procédure de la kafala des enfants marocains aux seuls marocains résidant au Maroc. En introduisant des conditions drastiques pour pouvoir quitter le territoire, il limite de fait les possibilités pour les Marocains résidant à l’étranger. Et il diminue les chances des enfants de trouver une famille en éliminant purement et simplement les musulmans étrangers. C’est bien l’esprit de la circulaire 40 /S2 du Ministre de la justice et des libertés en date du 19 sept 2012 qui est repris dans ce texte, dans une version encore moins favorable aux enfants. Lors de l’entrevue accordée par le Ministre de la justice et des libertés au collectif kafala, nous avons eu la promesse d’être consultés. Certes cette proposition n’émane pas du gouvernement. Néanmoins, nous sommes en droit d’attendre l’ouverture d’un débat sur la question.
La Fondation : Quels sont vos suggestions pour faciliter les démarches administratives pour les MRE ?
Fatima Zahra Alami : Refaire la loi complètement, elle est inutilisable en l’état ; créer un bureau de la kafala, au sein des consulats, de manière à ce que la partie « enquête, et constitution du dossier d’agrément » puisse être prise en charge, par ce bureau. Il aurait également pour rôle d’accueillir les demandeurs, de les renseigner et de les assister dans leurs démarches. Homogénéiser la liste des documents nécessaires aux non résidents. Etablissement de conventions bilatérales, de manière à clarifier le concept de kafala judiciaire, pour la reconnaissance mutuelle des dossiers d’agrément, et pour que le suivi puisse être exercé selon les termes des conventions. Il serait bien également que les enfants soient inscrits dans les consulats du Maroc du pays de résidence.