Au cours de la décennie 2000, la migration clandestine s’est installée pour de bon. La porte de l’Europe, défoncée par les premiers migrants irréguliers pendant les années 90, a connu une plus grande affluence avec une diversification des voies d’accès. A côté des boat-peoples, des enfants mineurs allaient explorer des voies nouvelles telles que les bateaux de voyageurs, les cargos et les semi-remorques de transport TIR…Pour les moins jeunes, les visas touristiques, d’étude et de travail à durée déterminée (CDD) allaient être utilisés pour l’accès aux différents pays européens. Selon certaines études, ces dernières voies régulières seraient celles qui étaient empruntées par la majorité des migrants devenus clandestins1 après expiration de leur visa.
Mais ce n’étaient pas les marocains seuls qui ont opté pour cette forme de migration. D’autres nationalités venues parfois des profondeurs de l’Afrique s’y sont investis avec force. Les itinéraires des embarcations de fortune se sont multipliés et diversifiés s’étalant de la côte atlantique à partir du Sénégal jusqu’à la Tunisie en Méditerranée. Les flux migratoires venus de loin n’ont pas toujours emprunté les voies maritimes dans un voyage direct vers l’Europe. Le plus grand nombre d’Africains a suivi la voie terrestre traversant le grand désert vers les pays de l’Afrique du Nord dont l’Algérie puis le Maroc, dans une première étape, et l’Espagne dans une seconde étape.
Dans cette ruée effrénée à la migration vers les pays de l’Union, le Maroc devint « un pays de transit » où se rencontraient les différentes nationalités africaines se regroupant dans les quartiers périphériques, voir les bois et espaces reculés des villes marocaines. Des organisations mafieuses transnationales s’y sont investis et l’activité s’est avérée juteuse. L’Algérie, ayant la plus grande frontière avec l’Afrique Sub-saharienne et la plus perméable, en recevait le plus grand nombre. Si une partie de ces migrants était refoulée vers le Mali ou le Niger, une grande partie « passait par Ghardaïa, Maghnia et Béni Drar pour pénétrer la frontière marocaine au niveau d’Ahfir, Berkan, Zaïo, puis Selouan et Nador »2 . Ainsi « le principal point d’accès de ces migrants sub-sahariens au Maroc était la frontière avec l’Algérie (59,8%) »3 . Leur objectif premier étant d’accéder aux deux présides « espagnols » de Ceuta et Melilla, ou de prendre les Pateras à partir des côtes marocaines.
Face aux soubresauts de cette « engouement migratoire » tout au long de sa côte Sud, l’UE va réagir par la création de l’Agence Frontex4 destinée à surveiller les frontières extérieures de l’Union, notamment les frontières maritimes. Elle déploie, à cet effet, des moyens humains, matériels et technologiques de détection et de l’interception de toute embarcation étrangère tentant de jeter les amarres clandestinement sur sa côte. Le nombre des embarcations interceptées « sont passés de 4 en 1991, année de la signature de la convention d’application des accords de Schengen, à 1020 en 2002 »5. Tandis que le nombre des détenus à bord de ces embarcations est passé de 477 en 1991 à 19 126 en 2001 et 19 000 en 2002. Ainsi l’affluence était telle que les barrières européennes se trouvaient dépassées.
Ceux qui ne réussissaient pas cette traversée restaient au Maroc. Leur nombre était imprécis, en raison vraisemblablement de leur instabilité sur le territoire national et de la dynamique continuelle des entrées et des sorties du Maroc. L’estimation du stock de ces migrants séjournant au Maroc retenue par les experts de la Commission Européenne en 2002 était de 15 000 personnes6.
C’est dire que la migration clandestine à partir des côtes marocaines n’était pas l’exclusivité de nos ressortissants. Ces derniers étaient même minoritaires par rapport à la population sub-saharienne appartenant à « une quarantaine de nationalités différentes »7. Et c’est ainsi que le Maroc était devenu progressivement : une halte d’étape dans le périple africain vers l’Europe, puis un pays de transit plus ou moins long et enfin, un pays d’installation définitive.
En vue de freiner ces flux irréguliers, l’UE a envisagé la mise en place d’un « PARTENARIAT EURO-AFRICAIN POUR LA MIGRATION ET LE DEVELOPPEMENT ». Elle y est allée en deux temps. Elle a d’abord organisé une série de conférences préparatoires à Dakar au Sénégal et puis une grande conférence finale, les 10 et 11 juillet 2006 à Rabat. Cette rencontre avait regroupé 57 Etats partenaires (28 africains et 29 européens) 2 organisations partenaires et 10 observateurs. Elle avait abouti à la Déclaration dite de Rabat8. Cette dernière a consacré le principe de « la gestion commune des flux migratoires » et de « la promotion du co-développement » entre les pays de l’UE et les pays africains.
La Déclaration et les mesures qui l’ont suivie, désignées sous le terme « Processus de Rabat », ont réduit d’une manière drastique les flux migratoires irréguliers à partir de la côte marocaine. La crise de l’immobilier intervenue un an plus tard (en 2007) en Espagne, en Italie puis dans d’autres pays européens, a découragé cet élan migratoire et renforcé la tendance baissière de cette migration comme en témoignent les statistiques de Frontex. Elles ont mis en évidence une forte diminution de ces flux au niveau du corridor « Espagne », contrairement aux autres corridors, : Grèce, Malte et Italie9 et ce, durant les dix années qui ont suivi la mise en œuvre dudit Processus. Ainsi le succès était plus accessible dans l’action conjointe et solidaire.
Article 17
2AMERM « L’immigration sub-saharienne au Maroc : Analyse socio-économique » juin 2008 p. 37 & 39
3Idem p. 37
4Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a été créée en 2004 pour aider les États membres de l’UE et les pays associés à l’espace Schengen à protéger les frontières extérieures de l’espace de libre circulation de l’UE – Lien 1
5M. KHACHANI « La question migratoire au Maroc » Ed. 2019 p. 85. »
6Mehdi LAHLOU « Vois des migrations sub-sahariennes « p447 » Mission d’identification au Maroc » menée entre les mois de juillet et d’octobre 2002 dans le cadre du programme Meda-Maroc
7AMERM Idem que ci-dessus p. 19
8Lien 2 – PDF
9Mohamed KHACHANI « La question migratoire au Maroc » Edition 2019 p 86