Avertissement: L’Histoire de la migration est partie intégrante de l’Histoire économique du Maroc. C’est pourquoi, il est proposé dans cet article de présenter le contexte économique global des années 80 pour mieux apprécier l’apport de la migration et percevoir d’une manière plus claire les implications des problèmes économiques intérieurs au Maroc sur la migration et sur son évolution ultérieure.
La gestion de la chose publique peut paraitre facile si les conditions de bonne volonté, d’organisation et du respect d’une bonne gouvernance sont réunies. C’est le cas en temps de paix et de stabilité. Mais souvent les Etats sont confrontés à des défis et contraintes extérieurs survenus subitement et qui brouillent toutes les cartes. C’était le cas du Maroc à partir de 1975. Des forces exogènes insoupçonnées vont frapper le pays de plein fouet sous forme de chocs économiques successifs et violents.
Le premier, fut le double choc pétrolier (1973 et 1978) qui va obérer la facture énergétique du Maroc et affecter sa compétitivité économique sur le marché international. Cela, au moment où le pays envisageait, dans le cadre du plan quinquennal (1973-1977), la construction d’une économie basée sur la promotion des exportations et la réduction des importations par le développement d’une industrie de substitution. Non seulement cette ambition était cassée mais aussi la charge du surcoût de l’énergie sur la balance des paiements était très lourde. Cela, en dépit des prix préférentiels accordés au Maroc par l’Irak de Saddam Houssine, entre autres, et une hausse momentanée des prix des phosphates sur le marché international.
Le second, était l’effort de guerre imposé dès 1975 par le colonel Boumediene qui présidait alors aux destinés de l’Algérie. Le conflit du Sahara qu’il a créé a obligé le Maroc à faire des achats massifs d’armement et à lever une armée solide capable de défendre l’intégrité territoriale du royaume. Là aussi, les besoins du Maroc en devises étaient énormes. Une forte hémorragie financière s’était déclarée en pure perte pour l’économie nationale.
A ce propos, il convient de rappeler que l’armée marocaine devait faire face à une armada de mercenaires puissamment équipée et cofinancée par les « révolutionnaires arabes » : les présidents Kadafi et Boumediene, tirant profit de la manne pétrolière arrivée à point nommé pour servir leurs desseins hostiles au Maroc.
Ces deux premiers chocs poussaient le pays vers la décélération et le chômage, puisque le levier public de la croissance se trouvait dérivé de la scène économique. Le Maroc a donc terminé les années 70 dans une situation économique très difficile.
Le troisième choc était une calamité naturelle. La décennie 80 commence avec 3 années consécutives de sécheresse. L’agriculture qui occupait et faisait nourrir presque la moitié de la population tombe en panne. La désolation s’abattit sur les plaines agricoles les plus riches : Chaouia, Tadla, Abda, Doukala, Lhaouz…Il était fréquent de voir sur la route, à la périphérie des villes, les petits éleveurs désemparés et complétement hébétés, accroupis sous un arbre, entourés de leur troupeau qu’ils n’arrivent plus à nourrir. En désespoir de cause, les décharges publiques devenaient parfois pâturage. L’exode vers les villes va déstructurer le milieu rural et déraciner une grande partie de sa population.
Sur le plan économique, cette population qui était jusqu’ici autosuffisante ne l’était plus. Les besoins alimentaires explosent. L’importation du blé, des céréales et des aliments de bétails devint une urgence. Au niveau des finances publiques, cette situation a fait deux victimes : la Caisse de Compensation dont la charge devint insoutenable puisque les produits alimentaires de base étaient compensés (farine, sucre, huile, beurre) et la réserve-devises qui était déjà fortement éprouvée.
Le quatrième choc était reçu comme un coup de grâce. Il s’agissait de l’appréciation progressive du cours du dollar américain. Le 15 août 1971 le Président Nixon1 avait décrété la « Non Convertibilité » du dollar. Elle est entrée en vigueur en 1976 donnant lieu à une vente massive de cette devise sur le marché international et donc à une chute drastique de sa valeur. Tirant profit de la situation, le Maroc a cru bon de financer une partie de son plan quinquennal (1973-1977) par un endettement extérieur en dollars américain. Celui-ci a été négocié entre 3.80 et 4.50 Dh/1$ jusqu’à la fin des années 70. A partir de 1980 et à l’arrivée des premières échéances de remboursement, la hausse des prix du pétrole suivie de ceux des matières premières avaient déjà asséché le marché du dollar. Celui-ci, retrouvant sa force, atteint 10 Dh/1$2 en 1985. Du coup, le volume en Dirhams de la dette extérieure du Maroc, libellée en dollars, a plus que doublée (2.5 fois) sous le seul effet du cours de change. Selon le HCP « La dette extérieure a progressé de plus de six fois entre 1975 et 1982 pour atteindre plus de 83% du PIB »3. Ainsi le pays est passé d’une situation d’endettement gérable à celle de surendettement quasi impossible. En dépit des moratoires contractuels et du rééchelonnement, obtenu dans le cadre du PAS (Programme d’Ajustement Structurel)4 que le Maroc a été acculé à signer en 1983, le service de la dette continuait à peser fortement sur les finances publiques passant de 5% du budget en 1977 à 22.2 % en 19855. Conséquence : suspension de la quasi-totalité des investissements programmés par l’Etat, désengagement total de l’intervention dans le domaine économique et gel des budgets sociaux. Enfin, faisant face aux remboursements de la dette publique et privée majoritairement libellées en dollars, la réserve devise s’était presque asséchée.
Le gouvernement voulant soulager les finances publiques et réduire les importations et la consommation intérieure par la décompensation des produits énergétiques et alimentaires, soulève un tôlé sur tout le territoire national. Ce fut la « Révolte du Koumira » (la baguette)6. Ses soubresauts vont s’étaler sur trois années consécutives et faire des victimes dans la population comme dans les forces de l’ordre. Le discours menaçant du Roi Hassan II7 pour mettre fin aux émeutes et désordres ici et là est resté comme une illustration de « sa dictature ». Rares étaient ceux qui avaient conscience du cumul des chocs et de la gravité de la situation. Hassan II, en guerre au Sahara, ne voulait pas donner de signes de faiblesse. Les alliés et les ralliés contre la cause nationale risquaient fort de redoubler d’ardeur.
Ainsi, les années 80 étaient très dures pour le Maroc. Dans ces difficultés, les transferts des émigrés étaient du pain-béni pour notre pays. Ils ont propulsé la migration au-devant de la scène en tant qu’élément fondamental de l’économie nationale.
Article 11
Lien 1.
2 HCP Annuaire Statistique 1986 cours des devises p. 456
3 HCP « Les sources de la croissance économiques » 2005 p.16
4 Plan d’action visant le redressement de l’économie et le rétablissement des équilibres généraux et des comptes de la nation. Il a été financé par le FMI et la Banque Mondiale et recommandait la libéralisation de l’économie moyennant entre autres la mise en œuvre de réformes budgétaires, administratives et réglementaires, l’abandon du protectionnisme économique et de la politique sociale, le désengagement économique de l’Etat et l’ouverture du Maroc sur le marché international.
5 HCP Annuaires statistiques 1977 p. 196 et 1985 p.465. Le service de la dette passe de 1 Md Dh en 1977 à 7,11 Md Dh en 1985 soit respectivement 5% et 22.2% du budget général de l’Etat.
6 20 et 21 juin 1981
7 Discours le plus dur de Hassan II juillet 1984.