Mohammed Mraizika, chercheur en sciences sociales, est le président-délégué du Mouvement International des Seniors et le fondateur de l’association Almohagir, en véritable militant il ne cesse de mettre en exergue les difficultés vécues par les Marocains résidant en France pour permettre une gestion axée sur l’amélioration de leurs conditions de vie. Nous lui avons posé ces quelques questions.
Fondation : Qui est Mohammed Mraizika ?
Mohammed Mraizika : L’étymologie du nom Mraizika renvoie au mot arabe « rizq » (ar-rizq) qui veut dire fortune et chance. La déclinaison du mot a donné des noms de famille différenciés à l’instar de Marzouk(i), Marzak ou Rizqi, connus au Maroc et au Maghreb. Peu importe, Mraizika est un nom que je porte avec bonheur et honneur.
Né au début des années cinquante à Khouribga, dans une famille ouvrière qui plonge ses racines dans la paysannerie du côté de Béni Amir et de Tadla, j’ai grandi dans une famille croyante qui a su donner à ses 12 enfants un cocon familial généreux et affectueux. C’est au lycée Ibn Yassine que j’ai découvert Victor Hugo, Maupassant, Camus et Balzac. C’est en 1972, que j’ai créé ma première association à Khouribga que j’ai quitté en 1974 pour Rabat. Ce départ était une opportunité et la découverte d’un autre monde. Celui des livres, de la boxe avec le FUS au quartier Océan, et les réunions politiques du PPS.
Fin 1977, c’est le grand départ cette fois-ci pour Paris où j’ai entrepris des études universitaires qui se sont conclues par des diplômes supérieurs en Histoire, en Philosophie Morale et Politique (Sorbonne IV), en Sciences de l’Information et de la Communication et un doctorat en Sciences Sociales (EHESS-Paris). J’ai également préparé début 90 un doctorat es-lettres en Islamologie à la Faculté de Lettres de Genève. Cette formation universitaire m’a conduit dès 1985 à l’enseignement et à la recherche. C’est sous la houlette de l’association Almohagir (1999) et du Mouvement International des Seniors (2006) que j’ai pris à bras le corps la question des immigrés âgés.
Fondation : Quel était votre message à travers « MRE hier et aujourd’hui, mais demain ? » publié en 2011 ?
Mohammed Mraizika : Dans ce recueil, j’ai essayé de mettre en exergue les attentes des MRE les plus légitimes en rapport avec la formation, l’exercice du culte et des droits civiques ou l’enseignement de la langue et culture d’origine. Le titre même du recueil exprime une inquiétude et alerte sur la situation particulière de plus de 4 millions de Marocains répartis à travers le monde, en contact permanent avec des traditions culturelles différentes et soumis à des législations complexes et restrictives.
C’est un fait, la communauté MRE a évolué au contact de ces législations et de ces sociétés. Son profil sociologique a changé. Cette évolution qualitative, qui est une richesse pour le pays, a une influence sur la nature des revendications et aspirations MRE qui sont devenues plus précises et plus proches des exigences du moment. Seulement, les politiques nationales qui leurs sont destinées n’ont pas su se mettre en adéquation avec cette évolution. Elles se trouvent même par moment en décalage avec les besoins réels des MRE, en particulier les jeunes plus enclins à privilégier l’exercice de la citoyenneté, le droit à une représentation politique effective, la sécurisation des investissements, la formation, l’enseignement de la langue et de la culture d’origine. La montée de la xénophobie et de l’islamophobie en Europe, leur attachement à leur identité culturelle, poussent nombre de MRE à chercher du côté des institutions nationales des réponses adaptées à leurs attentes, notamment en matière d’enseignement de la langue arabe.
Ce désir de préservation des liens affectifs et culturels avec le pays et cette volonté d’être citoyens à part entière, qui doivent-être valorisés et accompagnés par le pays d’origine, n’ont suscité que peu d’intérêt.
C’est pour exprimer cette réalité et pour dénoncer cette lacune que j’ai jugé utile d’écrire ce livre ; l’ambition étant de sensibiliser les décideurs sur une situation particulière qui mérite un traitement particulier.
Fondation : Comment vivent les MRE âgés en France ?
Mohammed Mraizika : Leurs conditions de vie sont précaires. Logement indigne, maigre retraite, accès aux soins limité, mobilité réduite, isolement social total. Pour schématiser, les immigrés âgés sont devenus des « valides invalidés par la conjoncture », des « laissés pour compte ». En plus de la précarité ils vivent dans la crainte.En effet, les services sociaux, en privilégiant une lecture « sécuritaire » de la législation sur l’immigration, ont instauré un climat de peur chez les immigrés âgés devenus la cible d’inspections et de contrôles fréquents diligentés par les Caisses d’allocations. Pour justifier cette politique répressive, ces Caisses évoquent souvent la fameuse « obligation de résidence » qui a pour effet d’astreindre les immigrés à passer 6 mois en France. Pratiquement, les aides (RSA, l’AAH, l’APA) octroyées sont supprimées dès que cette durée est dépassée ; même de quelques jours. C’est ainsi que des immigrés âgés se sont vus priver de leurs allocations et même poursuivis par le Trésor Public qui leur réclame le remboursement du « trop perçu ».
Le pire aujourd’hui, c’est que les immigrés âgés subissent une « double peine ». Marginalisés et précarisés dans le pays d’accueil, ils sont ignorés par le pays d’origine, incapable de les accompagner dans cette phase délicate de leur parcours de vie. Le désir de retour est plus que jamais présent. Il est donc temps de s’atteler à ce problème appelé à prendre de l’ampleur.
Fondation : Quelles sont les mesures à prendre en leur faveur ?
Mohammed Mraizika : Des propositions sérieuses ont été rendues publiques récemment (le 4 juillet) par la Mission d’information parlementaire française. Ces propositions nous les soutenons, car elles correspondent au cahier de doléances que nous défendons depuis des années à savoir : le droit à la naturalisation ou à un titre de séjour permanent pour les retraités âgés, la portabilité de leurs pensions, allocations et soins, la possibilité de circuler librement entre les deux pays, des conditions de logement adaptées, le bénéfice des droits sociaux ouverts aux retraités français installés au Maroc. En un mot leur intégration dans le droit commun.
Les autres revendications sur lesquelles nous restons fermes se résument ainsi : accorder aux MRE âgés démunis les aides prévues par les dispositifs nationaux et des exonérations fiscales, au même titre que les retraités étrangers installés au Maroc, faciliter leur accès au logement social et au programme de garantie dit « Daman Sakane », leur intégration dans les dispositifs annoncés à la Chambre des Conseillers par le chef du gouvernement lors de la séance mensuelle du 8 mai 2013.
Fondation : Quels sont vos projets à venir ?
Mohammed Mraizika : Notre espoir est que le travail de la Mission parlementaires française aboutisse à une loi juste qui apporte des améliorations substantielles à la situation des immigrés âgés. Si les 82 propositions émises par le Rapporteur de cette Mission sont traduites dans la réalité, il est certain qu’il nous sera plus facile de nous concentrer sur d’autres aspects de leur vie culturelle et sociale. De même, nous pouvons, en prenant appui sur les dispositifs prévus par les institutions marocaines, élaborer des projets adaptés à leur cas. Il convient ici également d’insister sur notre rôle d’information et de sensibilisation sur les aides qui leurs sont reconnues par les Caisses. Très souvent c’est par ignorance qu’ils perdent leurs droits.
Enfin, il y a un domaine dans lequel un vrai effort doit être fait par les pouvoirs publics en vue de protéger les acquis et les droits des MRE, d’une manière générale, qui est celui des Conventions et accords bilatéraux. C’est le principe de réciprocité qui est ici en question. Nombre de pays d’accueil ne respectent pas leurs signatures. Le Maroc doit donc exiger ce respect et prendre les mesures qui s’imposent pour imposer la réciprocité au profit de ses ressortissants.
L’association Almohagir continuera, pour sa part, à prendre des initiatives spécifiques et mener auprès des MRE âgés des actions de proximité orientées vers le même objectif : briser leur isolement social, préserver leurs acquis et les aider à renouer le contact avec le Maroc. C’est essentiel.