Said Charchira est l’un des intervenants majeurs de la migration marocaine. Installé en Allemagne, il crée le mouvement Nouvel Elan « M.O.N.E », afin de revendiquer les droits des marocains résidant à l’étranger et lutter contre les discriminations, l’exclusion, le racisme et l’islamophobie. Dans le cadre du cinquantenaire de la migration marocaine en Allemagne, il nous informe sur l’événement « 50 ans de migration marocaine en Allemagne ». Pour en savoir plus sur ce militant des droits des migrants, nous l’avons rencontré, le temps de lui poser quelques questions.
La Fondation : Qui est Said Charchira ?
Said Charchira : Né dans une famille modeste, après des études à Meknès puis à Rabat, j’ai décroché un poste intéressant dans la fonction publique. Appartenant à cette jeunesse révoltée, avide de justice et de liberté, je me suis engagé dans la politique et principalement la question des droits de l’homme au Maroc. En octobre 1985, j’ai quitté le Maroc et ma fonction et me suis dirigé vers l’Allemagne, qui me paraissait n’avoir pas de relations étroites en termes de sécurité avec le Maroc. Arrivé à Düsseldorf, tout en étudiant la langue allemande, j’ai eu la chance de trouver une petite place dans une organisation internationale en tant que traducteur de documents (français-arabe). Cela m’a permis de faire venir ma famille une année après ma venue en Allemagne et de prolonger mes études. Après cinq ans d’études linguistiques, j’ai pu décrocher un poste en tant que professeur assistant dans une université allemande, avant d’être élu en décembre 1996, président du Forum des migrants de l’union européenne (un organisme consultatif auprès de la commission et du parlement européen).Durant mon séjour en Allemagne, j’ai pu apprendre et apprécier de plus en plus, le véritable sens de la démocratie, de la liberté d’expression, de l’ordre et la discipline, la reconnaissance du mérite ainsi que la qualité de la vie. En un mot, je me suis habitué au quotidien à une régulation réelle, entre droits et devoirs. Toutes ces qualités ont fait que l’Allemagne est devenue ma seconde patrie.
La Fondation : Comment décrirez-vous les Marocains résidant en Allemagne actuellement ?
Said Charchira : La communauté des citoyens marocains d’Allemagne est estimée actuellement à 140.000. 80% de cette population vit au Land NRW (nord de la Wesfalie), dont la capitale est Düsseldorf. Elle est la première communauté arabe en Allemagne. Elle a su surmonter les effets de la réunification allemande (octobre 1990). En effet, l’arrivée d’un grand nombre d’Allemands de l’Europe de l’Est, principalement de Russie (aussidler) en plus des allemands de l’ancienne République Démocratie d’Allemagne « RDA », avait généré une sérieuse tension, principalement avec les nouvelles générations.
Aujourd’hui, la majorité de ces nouvelles générations semblent plus sereines, mieux enracinées et stables. Elles se sont enfin ouvertes à leur environnement immédiat et sont aujourd’hui dans leur grande majorité bien intégrées. Le choix de l’intégration, s’inscrit non seulement dans la sédentarisation en Allemagne, mais aussi par le désir de s’assurer un avenir meilleur pour eux et pour les générations à venir. Mais, cette réalité ne les empêche pas, d’être conscients, que si le Maroc a besoin d’eux, ils ont tout autant besoin du Maroc, parce que l’identité marocaine reste structurante de leur personnalité. Une donne qu’il faut prendre comme une question fondamentalement nationale et non pas comme une question purement euro-européenne. D’autant plus, que la communauté peut être aujourd’hui considérée comme une passerelle pour le rapprochement entre le Maroc et l’Allemagne. Quant au statut de la femme, si elle a tous ses droits au niveau de la législation allemande, le problème se pose au niveau de la famille ou la tradition domine encore. Mais on constate ces deux dernières décennies une certaine évolution vers une autonomie de la structure traditionnelle de la société d’origine. En effet, l’apprentissage de l’individualisme de la société allemande a engendré une certaine rupture graduelle avec la famille au sens traditionnel du mot. Une évolution qui est loin de répondre à de simples impératifs de commodité économique, mais traduit une certaine évolution du processus migratoire.
Aujourd’hui, le centre de gravité de la femme migrante en Allemagne, n’est plus resté au pays d’origine, le Maroc, mais s’est déplacé dans le pays de résidence, l’Allemagne. Mais malgré ces mutations, le statut de la femme migrante marocaine, souffre encore de plusieurs lacunes, même si elle essaie d’échapper progressivement au rôle qui lui a été assigné par la société traditionnelle.
La Fondation : Quels sont les objectifs du Mouvement Nouvel Elan ?
Said Charchira : Le mouvement NOUVEL ÉLAN « M.O.N.E », est un mouvement international de type non gouvernemental constitué par une cinquantaine d’organisations ainsi qu’une centaine de personnes (experts) et auquel peut adhérer tout citoyen marocain de l’étranger. Il est avant tout un espace de réflexion, de dialogue et de propositions, susceptibles de contribuer à de nouvelles perspectives pour le bien des Citoyens Marocains de l’Etranger « CME » . L’objectif principal du mouvement est la défense des intérêts des citoyens marocains de l’étranger ou d’origine marocaine auprès des autorités des pays de résidence et d’origine.
Le mouvement MONE s’est assigné pour mission essentielle de revendiquer l’ensemble des droits des citoyens marocains de l’étranger ou d’origine marocaine établis dans l’Union européenne. Parallèlement à cette tâche revendicative, il fait de la lutte contre les discriminations, l’exclusion, le racisme et l’islamophobie une de ses priorités. Etant donnée la conjoncture que traverse actuellement notre région, il est évident, que comme tous les marocains, les Citoyens Marocains de l’Etranger aspirent à accompagner cette nouvelle phase qu’aborde le Maroc. C’est d’ailleurs, dans cette perspective que nous avions adressé le 25 avril 2011 un mémorandum à la commission consultative pour la réforme de la constitution « CCRC » demandant en autres la constitutionnalisation des droits des CME et particulièrement la participation politique. La nouvelle constitution adoptée le 1er juillet 2011, répond dans une large mesure à nos revendications. Il reste à mettre en œuvre le contenu de la Loi fondamentale. La structure du mouvement « NOUVEL ÈLAN » est gérée par un comité directoire composé de Citoyens Marocains résidants dans différents pays de l’union européenne. Le règlement d’ordre interne, réglemente son fonctionnement interne, l’adhésion, le mode d’élection de son comité directoire et le rôle de chacun de ses membres.
La Fondation : Quels seront les grands moments de L’événement «50 ans de migration en Allemagne» ?
Said Charchira : Ce mois de mai 2013 est un grand moment pour la communauté des Citoyens Marocains d’Allemagne. Cette date marque le cinquantième anniversaire des accords de main-d’œuvre entre le Royaume du Maroc et la République fédérale d’Allemagne. A cette occasion, nous organisons une série de manifestations à Düsseldorf en Allemagne. Durant trois mois (3 mai-20 juillet 2013) multiples festivités culturelles, sociales, artistiques et politiques ainsi que plusieurs expositions et tables rondes auxquels sont invités les officiels marocains et allemands ainsi que certains chercheurs sont programmés. Parmi les objectifs de cette série de manifestations, permettre à la communauté des Citoyens Marocains d’Allemagne de se faire mieux connaître et apprécier au sein de la société allemande et aux Allemands de découvrir notre culture, nos traditions et notre tolérance cultuelle. Cela permettra également non seulement de jeter un regard rétrospectif, mais surtout de se pencher sur les perspectives d’avenir et notamment pour les nouvelles générations.
Le coup d’envoi a été donné le 3 mai 2013 et la table ronde a eu lieu à Düsseldorf, capitale du Land NRW le 16 mai dernier. Ce ne sont que les deux premières manifestations des 14 prévues dans le cadre de cet important événement. Le grand moment de ces deux premières manifestations, auxquels ont pris part de nombreuses personnalités du monde politique, économique et culturel, qui ont mis l’accent sur le « rôle pionnier » que joue la communauté dans la société allemande est l’annonce du président du Centre fédéral de formation politique (Bundeszentrale für politische Bildung), Thomas Grogan, qui annonçait la consécration d’une étude particulière sur la communauté marocaine.