Comme vu dans l’article précèdent, les années 2000 se sont vite différenciées des années 90 du siècle passé. Les perturbations climatiques notamment en Afrique, les conflits armés et les crises économiques ont déstabilisé des communautés entières et ont provoqué, dans les années 2000, des déplacements de population sur une grande échelle. L’usage généralisé des moyens de communications réels et virtuels tels que le téléphone cellulaire, l’internet, le transport aérien Low-cost, les cartes monétiques… ont favorisé une accélération rapide de ses mouvements.
Au Maroc trois flux migratoires vont connaitre une dynamique particulière en ce début de millénaire : l’émigration des cerveaux, l’émigration des femmes seules et l’immigration africaine et européenne.
Concernant l’émigration des cerveaux, alors que seule une partie des étudiants marocains dans les universités occidentales s’installaient à l’étranger, les années 2000 ont inauguré le départ de flux de compétences à partir du Maroc. Il s’agit des lauréats des grandes écoles et des cadres scientifiques marocains. Trois facteurs ont participé à l’engagement de ce flux : le « Bug 2000 », la mise en place par les différents pays de l’OCDE d’un dispositif dit de « la migration choisie » et le chômage élevé des lauréats des universités marocaines.
S’agissant du Bug 2000, l’initiative de l’émigration dans ce cadre était prise par les pays de l’Union Européenne et les pays développés. En effet et dans une action préventive des risques encourus par « les gros systèmes » informatiques dans leur passage du deuxième au troisième millénaire, les pays du Nord se sont retournés vers les pays du Sud, dont le Maroc, pour recruter les ingénieurs informaticiens. L’objectif était d’accompagner leurs institutions et leurs entreprises dans la reprogrammation des « gros systèmes », configurés initialement sur les années 1900 pour leur faciliter l’entrée en l’an 2000. Au Maroc des promotions toutes entières des écoles d’ingénieurs en informatique auraient été recrutées. Les cabinets internationaux spécialisés dans les « Ressources Humaines », les entreprises de recrutement en ligne type StepStone1, voire même les filiales de sociétés européennes installées au Maroc, tous servaient de « chasseurs de têtes » et d’expatriation des compétences marocaines dans ce domaine.
Cette opération à caractère ponctuelle, menée la veille de l’an 2000, a permis à nos compétences, toutes formations confondues, de découvrir les opportunités de placement sur le marché international de l’emploi. Elle a aussi permis aux entités publiques et privées des pays occidentaux de bien apprécier les capacités et la bonne formation de nos cadres.
Au niveau de ces pays et en vue d’accélérer l’immigration de personnes hautement qualifiées, des dispositions favorables ont été prises en matière d’octroi de visas, de facilités d’installation, d’obtention de la carte de séjour (vertes, bleues…selon le pays) avec des possibilités de renouvellement automatique. Ces dispositions ont été communiquées sur les sites de recrutement et notamment ceux des chancelleries diplomatiques. Il s’agit bien d’une démarche de « Braine Drain » (drainage des cerveaux) pour combler le déficit en matière grise des pays développés.
Au Maroc, cette évolution va ouvrir la voie à un flux migratoire nouveau et qualitativement différent de ses prédécesseurs. Il se distingue, outre la qualification de ses auteurs, par son caractère régulier certes mais aussi atomisé et disséminé à travers les pays développés. Il était donc difficile d’en assurer un suivi et d’en avoir une évaluation exacte.
Devant l’imprécision des statistiques, l’ampleur du flux annuel était qualifiée par certains organes de presse, d’hémorragie de compétences et de fuite de cerveaux alarmant2. Les statistiques de l’OCDE ont fait état « en 2001 du chiffre de 200 000 résidants marocains dans les pays membres ayant un niveau universitaire et de 425 000 personnes en 2011 »3 . C’est dire, qu’environ 225 000 compétences marocaines nouvelles se seraient installées à l’étranger durant la décennie 2000.
En dépit des controverses autour de la question, il est clair que cette migration des compétences relevait du libre choix des intéressés et répondait à une rationalité et à des objectifs logiques : un revenu plus élevé, une bonne perspective de carrière, un milieu de travail motivant et une qualité de vie meilleure.
L’étude menée par le HCP en 20055 a révélé que l’emprunte culturelle intériorisée par le migrant au départ, ne tardait pas à prendre les devants avec l’âge, l’incitant au retour au Maroc. En effet, 64 % d’entre eux selon cette étude souhaiteraient réussir ce retour d’une manière définitive, ponctuelle ou virtuelle.
Ce cercle vertueux, d’aller-retour, serait de nature salutaire et enrichissante pour notre pays. Il serait salutaire au départ parce qu’il permet de soulager le trop plein d’universitaires qui n’ont pu être absorbés par le marché intérieur de l’emploi. (le taux de chômage pour cette catégorie est le plus élevé de tous : entre 18 et 23% durant la décennie 2000). Il serait enrichissant car le retour virtuel ou réel de ces diplômés expérimentés, pourrait être un accélérateur de développement au Maroc par le transfert de technologie qu’il peut assurer et par la dynamisation des flux d’échanges qu’il peut favoriser.
S’agissant de la migration féminine, elle s’est opérée dans le sillage de l’expatriation des compétences, pour la femme instruite, et suite à la mise en œuvre par l’ANAPEC du concept de «la migration circulaire » de la main-d’œuvre agricole pour la cueillette de la fraise en Espagne. Ces deux événements ont donné l’élan à un nouveau flux migratoire : celui de la femme seule. Il a pris forme à partir de l’an 2000, comme alternative à la migration sédentaire, et s’est confirmé tout au long de la décennie. C’est ainsi que jeune fille étudiante, diplômée, femme cadre, infirmière, agent commerciale, nurse, domestique ou ouvrière agricole, ont pris la voie de l’étranger. La femme marocaine qui émigrait avec son mari prenait désormais l’initiative de la migration solitaire.
Indépendamment de ces facteurs exogènes d’autres facteurs endogènes, cette fois-ci ont joué dans ce sens : la situation du marché de l’emploi, le retard de l’âge de mariage et l’accessibilité de l’Internet aux différentes couches de la population ont participé à cette dynamique. Néanmoins un autre facteur aurait été important dans l’accélération de cette tendance. Ce fut le vent de liberté et d’égalité en faveur de la femme, insufflé par la nouvelle législation marocaine à travers la révision du code de la famille, du code de travail et du code de la nationalité6. L’entrée en vigueur de ces réformes ainsi que les débats qui les ont précédées et/ou accompagnées ont participé à l’éclosion d’un sentiment d’émancipation et d’indépendance chez la femme marocaine, libérant son choix pour une mobilité transnationale autonome.
C’est ainsi que la proportion des femmes par rapport à la totalité des migrants en Europe a dépassé les 45% en 2010 (47.6 % pour la France et l’Angleterre) et que 30% des femmes migrantes en Italie, pays de migration récente, étaient des migrantes célibataires7.
Ces nouveaux flux d’émigration marocaine des compétences et des femmes seules, s’est inséré dans la mouvance générale transnationale des personnes. Ils étaient fortement accélérés par l’ouverture économique du Maroc mais aussi par le niveau de maturation technique et socio-économique atteint par les jeunes générations et qui leur ont permis de chevaucher la vague déferlante de la mondialisation. D’ailleurs, ce n’était pas l’Europe seule qui a été ciblée mais toutes les régions du monde susceptibles d’offrir des opportunités de travail qualifié telles que : Canada, USA, Turquie, Russie, Chine, Pays du Golf, Malaisie, Indonésie, Australie et même les pays africains. Il semble bien que l’accroissement du niveau de développement du pays et de la formation technique et scientifique donnent des ailes aux citoyens.
Article 16
2 cfcim.org
3 Med. KHACHANI « La question migratoire au Maroc » Ed. 2019 p. 71, d’après la revue de l’OCDE « Talents à l’Etranger … » Ed. OCDE 2016 p.18.
4 HCP-CERED, « l’Enquête sur l’Insertion Socio-économique des MRE dans les pays d’accueil, 2005 ».
5 HCP
6 Med KHACHANI « Genre et migration au Maroc » 2011 p.6.
7 Idem p.2.