La décennie 90 s’est terminée avec le décès du Roi Hassan II (juillet 1999). Controversé et adulé de son vivant, le Roi défunt était regretté à sa mort par la population marocaine à l’intérieur comme à l’extérieur du Maroc. Ses réalisations 38 ans durant, sa forte personnalité, sa grande culture et son charisme sont vite revenus au-devant de la scène. Le deuil était à sa mesure. Ses funérailles rassemblant les plus grands chefs d’Etat venus des quatre coins du Monde ont constitué un motif de fierté pour les Marocains et d’admiration pour la personne du défunt. Il a bénéficié d’un hommage particulier de la part de ses pairs toute obédience confondue. Le dernier Adieu accompli par le peuple marocain dans le calme et la dignité a transmis un signal fort au reste du monde : le Maroc est un pays stable évoluant en parfaite symbiose entre Roi et Peuple. Auparavant, les analystes et les chancelleries exprimaient une forte circonspection quant à la pérennité de l’Etat et du régime marocain. La preuve du contraire était irréfutable.
Concernant les Marocains Résidant à l’Etranger, la fluidité, la célérité et le ton apaisé qui ont dominé l’interrègne et le passage du pouvoir entre le Roi défunt et le Prince Héritier dans la cérémonie d’allégeance, étaient arborés comme un grand motif de satisfaction par bon nombre d’entre eux. Ils étaient heureux d’appartenir à un pays « civilisé où l’on ne s’entretue pas pour le pouvoir ». Le Maroc est désormais perçu comme un havre de paix et de sérénité. Autant la mort est déchirante autant celle-ci a révélé un capital de communion et d’union patriotique chez les marocains. Une page de l’histoire a été tournée, commençait alors une autre page vierge.
Le lendemain, un jour nouveau s’était levé sur le Maroc. La jeunesse du Roi Mohammed VI, son allure souriant, accessible, magnanime avec les plus défavorisés, déterminé en faveur du changement et de la liberté ont nourri un fort espoir chez la jeunesse marocaine. Cette dernière va jouer un rôle capital dans la dynamique qui s’en est suivie, y compris dans l’activité migratoire, comme nous allons le voir plus loin.
Si cette rupture a marqué le passage du Maroc au 3ème millénaire, d’autres ruptures l’ont accompagné à l’échelle mondiale. Les effets désormais visibles et quantifiés du réchauffement climatique, les guerres un peu partout, les inventions technologiques des années 90 et plus tard les crises économiques vont perturber la stabilité des Hommes dans les différents continents donnant lieu une migration débridée à travers le globe. Des vagues humaines successives vont perturber les règles du jeu des relations internationales et malmener dans certains cas les conventions des Nations Unies qui ont géré jusqu’ici le déplacement transnational des personnes.
Les concepts de Nation, de frontières politiques ou naturelles et d’exclusivité culturelle commencèrent à être érodés par ces déplacements massifs transcendant les frontières. Les nouvelles technologies de communication ont servi de moyens d’information dans le périple des migrants allant dans toutes les directions : Est-Ouest (philippins, Afgans, Indous, Chinois, Iraniens, Irakiens…), Sud-Nord (Africains du Nord, Sub-sahariens et latinos-américains) et inversement (Européens et américains en Chine, aux pays du Sud-Est asiatique aux pays du Golf, ou au Maroc…). L’opportunité de vivre mieux ou de s’enrichir déracinèrent les Hommes. Et l’on perçoit, par ces migrations croisées à grande échelle, les balbutiements d’une universalité en devenir, forçant l’évolution de l’humanité toute entière vers une société cosmopolite mondialisée.
Ainsi l’Histoire qui semblait évoluer d’une manière linéaire avançait plutôt dans une trajectoire brisée. La décennie 2000 n’était pas la continuité des années 1990. Elle a eu sa propre personnalité son propre caché. Le deuxième cinquantenaire du siècle dernier constituait l’ère poste colonial pour les pays du Sud et l’ère post guerre mondiale pour ceux du Nord. L’humanité y a été gérée conformément aux conventions des Nations Unis établies au lendemain de la guerre (1945). A partir de l’an 2000, les changements vont donner au nouveau millénaire une emprunte nouvelle caractérisée par des défis et des ambitions divergents entre un vieux monde encore fort mais vieillissant et un nouveau monde jeune en éveil. La recherche d’un nouvel ordre planétaire se trouve alors engagé pour le meilleur et pour le pire.
Au Maroc, les évènements intérieurs et extérieurs se sont ralliés pour créer un environnement nouveau et un cadre différencié de la vie publique, caractérisée par « une grande ouverture sur le monde extérieur ». Concomitamment à cette évolution, le Maroc, découvert au niveau international comme un pays stable, crédible et propice à l’investissement, devint vite attractif. Aussi a-t-il inauguré durant la décennie de grands projets économiques structurants, favorisant le développement rapide des investissements extérieurs et vivre en même temps, une dynamique migratoire jusque-là inconnue, voire même insoupçonnée. Il s’agissait d’abord de l’émigration marocaine des cadres qualifiés et de celle des femmes seules, ensuite de l’immigration irrégulière Sud-Sud de transit et d’installation, effectuée par une population africaine sub-saharienne et enfin, d’une immigration Nord-Sud d’européens. Il s’agit d’expatriés accompagnant l’investissement international, de retraités cherchant une fin de vie meilleure au Maroc, de personnalités richissimes en quête « d’exotisme oriental » ou simplement de faux touristes travaillant dans la clandestinité.
Cette mobilité tous azimuts va interagir pour mettre en gestation des réformes juridiques et institutionnelles et favoriser une approche nouvelle de politique migratoire nationale. Une partie de ces réformes verra le jour dans la décennie suivante (à partir de 2013). Et c’est ainsi que la mobilité humaine aura contribué à tracer progressivement durant ces années les traits d’une nouvelle réalité marocaine dans les domaines diplomatique, politique, économique et sociale.
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